Il y a 39 ans jour pour jour, Simone Veil prononça un discours visionnaire tandis qu’elle venait d’être élue Présidente du Parlement européen. L’évènement est historique : pour la première fois les Européens élisent directement leur assemblée, une innovation proprement révolutionnaire qu’aucun État au monde n’avait acceptée auparavant.

 

« L’idée européenne et le principe démocratique se sont rencontrés. »

 

Retour sur le discours de cette « mère-fondatrice » de l’Europe – je me permet ce terme-, qui nous rappelle que bien des crises que nous connaissons aujourd’hui ne sont pas, fondamentalement, nouvelles.

D’abord, en revoyant cette vidéo de l’INA on ne peut qu’être choqué par la faible part des femmes aux bancs des élus, 16%, ce qui était certes quatre fois plus élevé qu’à l’Assemblée nationale française. On note aussi les belles Ray-Ban de style pilote des années soixante-dix que porte l’un des huissiers derrière la Présidente – en 1979, c’était normal…

Simone Veil prononce un discours où l’on perçoit la profondeur de la construction européenne – ce rêve fou d’en finir avec les guerres et leurs massacres, dont elle est elle-même une survivante. De son ton relativement grave on relève que l’inauguration du Parlement européen n’est pas un évènement à prendre à la légère : son rôle est essentiel pour la démocratie européenne, qui doit déjà répondre aux grandes attentes des citoyens européens.

Ainsi, Simone Veil lance un avertissement : il va falloir travailler sérieusement, pas de place à l’absentéisme et à la démagogie. Malheureusement, la majorité de ses collègues français ne l’écouteront pas. Dans la mandature actuelle par exemple, ces derniers arrivent à la treizième place par rapport à leurs collègues des autres pays européens, malgré la grande proximité géographique de Bruxelles et de Strasbourg pour les députés européens français.

Le chômage fait son retour, les inégalités sociales aussi. L’ancienne Ministre de la santé place « la solidarité entre les peuples, les régions et les personnes » au cœur des défis à venir. La politique européenne de redistribution des richesses (elle parle de péréquation), entre les régions riches et les régions pauvres, est un outil qui a aidé nos régions et des pays entiers comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce alors candidats. Cependant la Présidente note qu’après le dernier choc pétrolier il faudra à tout prix combattre ces inégalités croissantes – elle avait raison, le chômage doublera 10 ans plus tard.

 

Trois défis : la paix, la solidarité et la liberté.

 

Au défi de la solidarité s’ajoute celui de la paix, entre des États qui viennent tout juste « d’innover » en créant cette union, ces États dont l’Histoire les a vu si souvent « s’acharner à se détruire. ». Vient ensuite la liberté comme troisième défi de l’Europe, l’un des « îlots de la liberté » entouré de régimes totalitaires et de dictatures. Celles de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce viennent de chuter, ces pays sont donc bienvenus dans la Communauté. En promouvant la liberté, l’Europe porte une responsabilité devant non seulement les citoyens européens, mais également ceux du monde qui partagent les mêmes aspirations.

Par ailleurs, l’indépendance européenne est déjà un objectif. L’Europe doit atteindre l’indépendance énergétique et monétaire, en investissant dans les nouvelles énergies et en continuant l’approfondissement du marché commun – qui deviendra le marché unique, dont les Britanniques perçoivent la grande valeur en pleine négociation du Brexit.

Remarquons encore que les bases de la souveraineté du Parlement européen sont jetées : il dispose d’une « autorité politique » unique, en étant élu par l’ensemble des citoyens– dont le nombre a doublé depuis ce discours. Par conséquent, les députés européens peuvent s’exprimer sur tous les sujets… indépendamment des États.

Simone Veil demande enfin à ses collègues de travailler sur une prérogative clef : le budget et la perception des recettes. Le Parlement européen possédait déjà le pouvoir de rejeter le budget européen et d’en amender une partie – et l’ensemble depuis 2010. Néanmoins les eurodéputés ne votent pas, jusqu’à présent, d’impôt européen. D’où la proposition du Président français de créer des ressources propres au budget de l’UE (dans son discours à Strasbourg en avril dernier), sans quoi nos ambitions resteront tributaires des visions de nos gouvernements nationaux, souvent court-termistes, qui attendent plus de l’UE sans pour autant lui en donner les moyens. Car contrairement aux perceptions, le budget européen ne représente que 1% du PIB européen. La contribution française, par exemple, représente aujourd’hui 7% des dépenses de l’Etat (hors charge de la dette).

N’oublions jamais ce dernier avertissement, écrit dans son autobiographie en 2007 (une Vie) :

« La situation de paix qui a prévalu en Europe constitue un bien exceptionnel, mais aucun de nous ne saurait sous-estimer sa fragilité. »

 

Alors que le Panthéon vient d’accueillir Simone Veil, je vous propose de revivre ce discours visionnaire dans cette vidéo (durée : 20 minutes).

Simone Veil inaugure le Parlement européen, le 17 juillet 1979