Tribune publiée dans le journal LaCroix ici, le 3 avril 2018.

Dans un an, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne.

Schams El Ghoneimi, expert français travaillant au Parlement européen pour un député écossais, alerte les Français sur les risques d’un Frexit, en venant débattre d’Europe dans les départements les plus eurosceptiques, comme l’Aisne. Rien ne semble acquis en France non plus.

« Les gens se sentent terriblement délaissés ici, il faut que tu viennes ! ».

Quand Nicole, 78 ans, me demanda de venir parler de mon expérience de l’Europe à Château-Thierry dans l’Aisne, j’avais peur de décevoir ces personnes moi aussi. L’Aisne a voté à 53 % pour le Front National au second tour des élections présidentielles. La crise économique y est plus dure ici qu’ailleurs, le taux de chômage y bat des records, tout semble plus difficile pour les Axonais.

Rapprocher les gens de l’Europe

Et pourtant la campagne contre le Brexit, que j’ai menée avec mon équipe en Écosse, a porté ses fruits dans chacune de nos 32 circonscriptions, rurales et ouvrières comprises. Armés de nos convictions, nous avons tenu 45 débats sur l’Europe dans chaque territoire, chaque réunion permettant de progresser avant le fatidique référendum. Je comprends parfaitement que rapprocher les gens de l’Europe, alors que ces derniers se sentent oubliés par la France même, puisse paraître difficile. Mais les départements comme ceux de l’Aisne seraient-ils si différents de ces counties écossais ruraux ou désindustrialisés ?

Je ne le crois pas. Encore faut-il vouloir écouter et accepter d’engager un débat sincère et de qualité sur notre Europe. Aujourd’hui plus que jamais.

Schams El Ghoneimi débat avec le public à Château-Thierry dans l’Aisne, conférence publique organisée par LREM Aisne

Parler de l’Europe sans langue de bois

D’abord, la communication sur l’Europe comporte des angles morts qu’il faut bien cerner. La ligne de TGV Paris-Strasbourg, financée en partie par l’Europe, ne s’arrête pas dans l’Aisne. Le vignoble champenois, grand employeur au sud du département, souffre déjà du Brexit mais peu d’Axonais s’identifient à cette industrie du luxe. La politique agricole commune verse 9 milliards d’euros par an aux paysans français, mais rares sont ceux qui peuvent en comprendre les mécanismes. L’euro nous protège de tant de manières différentes, mais certains territoires semblent en bénéficier bien plus que l’Aisne.

Au-delà de ces angles morts, il y a mille et une façons de parler d’Europe, couramment perçue comme « éloignée » des citoyens. Loin des masques technocratiques ou pire de la langue de bois, plus que jamais il est essentiel de parler d’Europe « avec ses tripes », avec passion et colère, partager nos expériences personnelles et nos rêves – car le projet européen est un pari incroyable, une sorte de miracle.

Témoigner

Échanger est l’une des clefs. Ainsi Frédéric, présent au premier rang dans le public, voulut partager son expérience de l’armée française au Tchad : « Lors du déploiement des forces européennes (EUFOR), en arborant le drapeau européen sur mon épaule, j’ai pris conscience d’être européen autant que français ». Témoignage plus proche et tout aussi fort, Alexandra qui vient de Soissons nous rappela un jugement de la Cour de Justice de l’UE en faveur de la CGT qui, face au groupe Castorama dans les tribunaux de l’Aisne, remporta une victoire contre le travail dominical. J’appris également que le deuxième employeur privé de l’Aisne n’était autre que Volkswagen. Il s’agit d’ailleurs de leur site le plus performant d’Europe – 750 salariés y travaillent.

Que serait la France sans l’UE ?

Mon expérience au cœur du Brexit, en tant que conseiller de députés britanniques, m’a fait prendre conscience de la profondeur de la construction européenne et de ses innombrables avantages. Les paysans gallois ne pourront plus compter sur les aides européennes, qui ne seront pas entièrement remplacées par leur capitale, moins sensible que l’Europe aux enjeux du développement rural. Les territoires en crise, qui ont bénéficié de tant de programmes européens, ne recevront pas la même attention. Le gel des investissements étrangers, l’inflation et la chute de la livre sterling atteignent directement la valeur des petites épargnes et des retraites.

La liste est infinie, mais les jeunes dans la salle comprennent qu’ils sont directement concernés. Souvenons-nous que 75% des moins de 35 ans ont voté contre le Brexit, et même 85% en Écosse. L’Europe est clairement un projet d’avenir, d’Erasmus au programme spatial Galileo en passant par Horizon 2020, le plus grand programme de recherche publique de toute l’Europe.

Il faut s’opposer au Brexit

Qu’attendons-nous en France pour sensibiliser les gens profondément et efficacement aux avantages de l’adhésion à l’Union européenne ? Seulement 50% des Français sondés en janvier s’opposent à Frexit. Pour nos grands-parents, pour nos enfants et tant d’autres raisons nous devons nous retrousser les manches et parler d’Europe, dans chaque département français, dans chaque école et dans chaque média. En effet, à l’instar de nos voisins d’outre-Manche, la France est loin d’être immunisée contre les tentations nationalistes désastreuses qu’une sortie de l’Union européenne cristalliserait dans notre pays. Suivons l’exemple de l’Aisne : parlons d’Europe !

Schams El Ghoneimi