Interview de Schams El Ghoneimi publié sur le taurillon ici le 12 juillet 2008.
L’UNION POUR LA MÉDITERRANÉE, RENOUVEAU DE LA COOPÉRATION EURO-MÉDITERRANÉENNE ?
Ou comment faire oublier un succès et promettre des sucettes
Si l’histoire réserve parfois de bonnes surprises, l’avenir de l’Union Pour la Méditerranée (UPM), délimité à la conférence du 13 juillet 2008, ne devrait pas trop nous faire rêver.
Opération électorale amorcée au discours de Toulon du 7 février 2007, la survie du projet une fois l’élection passée est une surprise en soit. D’un autre coté, cela est très compréhensible. Le message est bien reçu par le public, persuadé que Nicolas fait tout pour unir les Méditerranéens, de surcroit sans ses voisins européens (impressionnant !). Mais sortons de la politique française et parlons de ce dont il est –en théorie- question : la coopération euro-méditerranéenne. Voici quelques affirmations lancées à propos de l’UPM et ce que nous pouvons en penser
« Ce projet consiste à construire une Union méditerranéenne comme les Européens ont construit l’Union européenne »
Loin de là. L’Europe a été créée parce que tout le reste avait été détruit. Aujourd’hui, elle est révolutionnaire, et ce en plusieurs points. Tout les 5 ans, 500 millions de citoyens européens élisent leurs députés au suffrage universel direct, ceux-ci ont adopté 632 décisions et résolutions en 2007, ces mêmes textes s’appliquant directement dans l’Union. Chaque année les 27 Gouvernements élus se réunissent plus de 100 fois par an au niveau ministériel, suivant plus de 120 réunions COREPER assistés par plus de 300 groupes de travail permanents dans 4000 réunions techniques annuelles. La Cour européenne de justice et la CEDH protègent notamment les droits de tout citoyen au dessus de leur État. Les Européens partagent la majorité de leurs normes économiques et commerciales, agricoles et environnementales, de la protection des droits des consommateurs à la sécurité aérienne ou nucléaire. Il s’agit d’intégration, et économique – l’Euro – et politique – le Parlement, la protection des droits fondamentaux. L’UPM est un projet de coopération et non d’intégration, cette différence est essentielle : aucun partage de souveraineté n’est prévu.
« Pourtant, l’UPM n’est elle pas un espoir par rapport à l’échec du processus de Barcelone ? »

Conférence des ONG européennes que j’ai organisé pendant mon stage à la délégation de la Commission européenne au Caire
Oui et non. On présente souvent Barcelone en échec total, souvent pour ne pas admettre sa méconnaissance du sujet. Connait-on le rôle pilote de l’Europe dans la reforme des administrations publiques ? Au Maroc, en Égypte ou dans les territoires palestiniens, des programmes communautaires pluriannuelles de centaines de millions d’euros ont accompagné des reformes clefs.
Certes, l’Europe a sérieusement un problème de communication, il n’empêche qu’elle a joué un rôle de premier plan dans la modernisation des systèmes de santé, dans le traitement des eaux, l’aide des entreprises à l’exportation. La modernisation des industries d’avenir comme le textile, l’amélioration des normes de sécurité et de qualité des produits… Tous les domaines sont concernés, de la sécurité maritime au tourisme écologique, de la société civile à la formation des journalistes, sans oublier les partenariats culturels [1] et les jumelages [2]. Balayer les réussites du Processus de Barcelone est tout sauf judicieux. Certes le processus de Barcelone n’a pas permis de régler les conflits politiques ni posé les bases d’une vaste zone de libre échange, mais soyons fiers de ce que nous avons fait ensemble, tout en visant beaucoup plus haut.
« Pourquoi alors redynamiser une coopération déjà avancée ? »
Car personne n’en est satisfait. Concentrons-nous à présent sur les « échecs » de Barcelone : leurs origines sont souvent exogènes. L’Algérie a connu une guerre civile extrêmement dure jusqu’en 2002, l’Egypte peine à nourrir 1,4 million de nouvelles bouches par an. La Syrie subit de lourdes sanctions économiques depuis 2004, le Liban a été profondément meurtri durant la guerre de l’été 2006 et il reste aujourd’hui politiquement instable. L’occupation israélienne des territoires palestiniens a non seulement repris depuis 1996, mais elle a atteint des proportions alarmantes pour l’avenir-même de l’État palestinien, et ce malgré l’engagement financier et diplomatique considérable de l’Europe [3]. La Tunisie et surtout le Maroc ont eu plus de chance, mais les grands gagnants restent la Turquie et Chypre, dont la situation économique et politique est sans comparaison.
« Entre toutes ces crises, reste-t-il une marge de manœuvre ? »

Affiche géante financée par l’UE pour sensibiliser le grand public sur l’exclusion sociale des enfants en Egypte (Photo: Schams El Ghoneimi)
Certainement, d’où l’intérêt du dialogue.Renforcer les liens entre les deux rives, s’ouvrir sur l’autre, permet de réduire de graves incompréhensions ainsi que leurs conséquences. Sur le plan opérationnel de la coopération, l’efficacité et la visibilité des programmes peuvent et doivent être améliorées. Il arrive que la délégation de la Commission européenne dans les pays tiers ne soit même pas au courant de certains programmes européens dans ce même pays, ceux-ci étant gérés directement de Bruxelles sans coordination suffisante. Entre les différentes directions et services de la Commission, ses délégations et les États membres, l’aide européenne peut clairement être mieux coordonnée.
Du côté arabe, l’expertise manque cruellement aux administrations arabes et, surtout, la coordination entre les pays arabes est quasi nulle. Economiquement, ces pays commercent bien davantage avec l’Union qu’entre eux ! De même politiquement, les dynamiques panarabes restent de l’ordre du discours et rares sont les diplomates, tel l’Ambassadeur égyptien Gamal Bayoumi, qui aspirent encore à une quelconque union arabe – vouloir que les deux rives soient sur un pied d’égalité est donc un vœu pieu.
Enfin, parlons argent. L’Europe a beau être le premier partenaire commercial des autres Méditerranéens, elle n’ose toujours pas parier sur cette région. Depuis la chute du rideau de fer, l’Europe de l’Est connaît un développement économique impressionnant, les quinze ont fait un pari et ils sont en train de le remporter. Le retard économique, si grand soit-il, ne les a pas effrayés.
Mais à quand la chute du rideau de mer ? Les Européens investissent davantage en Pologne que dans l’ensemble des pays partenaires méditerranéens. Du budget européen, celle-ci reçoit 11.2 milliards d’euros par an quand le meilleur élève de la rive sud, le Maroc, n’en reçoit que 165 millions. On comprend alors la puissance de la dynamique de l’élargissement et la faiblesse de la politique européenne de voisinage, destinée aux voisins sans perspective d’adhésion.
La mer « Medi-terranée » demeure encore la Yam Hagadol – son nom hébraïque dans l’Ancien Testament- la Grande Mer…
À propos de Schams El-Ghoneimi
Illustration :
Pour améliorer leur coordination, réunion de l’ensemble des ONG européennes travaillant dans le développement en Égypte avec les États membres et la Commission européenne, sous l’initiative et l’organisation de sa délégation au Caire l’an passé. (Auteur : Schams El-Ghoneimi)
Campagne nationale contre la maltraitance chez l’enfant, financée par le programme « Enfants en danger » de la Commission européenne (20 millions d’euros en 2007). L’affiche se trouve devant la gare d’Alexandrie. (auteur : S. El-Ghoneimi)
Des jeunes sur un pont du Nil au Caire. (auteur : R. N. Hemeid)