Samedi la France a sauvé les abeilles, mardi Bruxelles a vendu nos panneaux solaires aux Chinois. Telle est l’impression que l’on peut légitimement avoir en lisant la presse. C’est incorrect. A quelques mois des européennes, ces deux exemples nous rappellent que l’Europe reste (incroyablement) négligée dans le traitement de l’information en France.

Article publié dans Mediapart le mardi 4 septembre 2018 ici.

 

La France a sauvé les abeilles… toute seule?

Samedi, cinq néonicotinoïdes, les pesticides tueurs-d’abeilles, ont été interdits en France. On s’en félicite, à juste titre étant donnés les immenses dégâts environnementaux constatés depuis des années. On se plait même à souligner que la France montre l’exemple en Europe – tant mieux. Et pourtant, l’ensemble des pays de l’UE doivent appliquer cette décision à partir de décembre pour les trois néonicotinoïdes les plus problématiques – y compris la France, en conformité avec ses engagements européens. Nous pouvons nous féliciter de l’appliquer trois mois à l’avance, mais il serait plus honnête de reconnaitre le travail européen dont cette interdiction est en grande partie le résultat.

Une recherche vers la presse spécialisée, celle qui peut encore se donner le temps d’analyser en détails l’actualité, révèle -surprise ! – l’existence d’une organisation appelée « Union européenne » -quel nom farfelu me direz-vous- et qui mériterait d’être cité sans modération tant son rôle est essentiel. Après de longues batailles menées notamment par le groupe des Verts au Parlement européen, l’autorité européenne pour la sécurité des aliments (EFSA) conclut que ces néonicotinoïdes représentent un « danger inacceptable » pour les abeilles – et tant d’autres insectes. Quand ? En 2012. L’Union européenne décide alors d’appliquer un moratoire sur leur utilisation en 2013, que nos États confirment en votant à Bruxelles, loin des caméras hexagonales. Toujours aussi méconnue est la décision du gouvernement français, en juin 2013, de repousser ce moratoire à 2018 pour la France.

Fast-forward. Nous voici fin 2017, les États ne sont toujours pas d’accords sur l’interdiction: doit-elle être étendue, modérée ou levée comme le demandent certains producteurs de pesticides ? Les députés européens sont assaillis par la campagne #SaveTheBees mais les 28 demandent un autre rapport à l’EFSA. Sauf qu’en février 2018… le rapport de l’EFSA est encore plus catastrophique. Quatre États, dont la France, font campagne pour un durcissement des interdictions et entrainent derrière eux une majorité des votes en avril, au Conseil, l’institution européenne où les États sont représentés. De même, en mars 2018, la commission Environnement du Parlement européen rejette toute tentative de plaire aux lobbies suisses, allemands et japonais producteurs des néonicotinoïdes. Victoire : l’interdiction est publiée le 30 mai au Journal officiel de l’UE.

Toutes ces informations sont publiques et souvent absentes du traitement de l’information en France. Pourtant, nos citoyens demandent toujours plus de transparence, plus de renseignements  et d’information  sur l’Union européenne. Qu’attendons-nous ?

 

Bruxelles abandonne les panneaux solaires, comme ça ?

Mardi matin vient le tour des panneaux photovoltaïques. La Commission européenne aurait lâchement laissé tomber cette industrie d’avenir, en levant ses taxes anti-dumping contre les importations de panneaux chinois, bien moins chers. Plusieurs quotidiens le confirment, des Échos à la Tribune en passant par Ouest-France ou le Figaro. Or ils présentent tous la caractéristique d’avoir copié-collé la dépêche de deux agences de presse, l’AFP et Reuters. Des fonctionnaires à Bruxelles aurait décidé, entre deux bières à Bruxelles, de porter un coup fatal à notre économie et à l’écologie !

En y regardant de plus près, encore une fois, le traitement de l’information laisse à désirer.

D’abord, nos États ont eux-mêmes voté la fin de ces taxes il y a 18 mois, la Commission européenne applique leurs décisions. Les environnementalistes et la société civile –Greenpeace, WWF, Climate Action Network- sont fondamentalement pour mettre fin à ces taxes. Pourquoi ? Ces barrières représentent 10 milliards d’euros de coûts supplémentaires depuis 2012 pour l’ensemble de la chaîne photovoltaïque en Europe, des installateurs de panneaux aux utilisateurs. Des dizaines de milliers d’emplois verts empêchés d’exister. Les Européens se sont aperçus qu’ils ne pouvaient rivaliser avec les producteurs de bases en Chine, tandis que ces taxes empêchent la croissance du reste du secteur, dont le développement est nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique. Qui plus est, les producteurs européens de panneaux n’ont pas ramené des emplois verts depuis 2012. La France est l’un des Etats où les subventions publiques sont maintenues car le marché ne décolle toujours pas.

En d’autres termes : ces taxes n’ont pas sauvé notre industrie et, pire, nous éloigne de nos objectifs environnementaux.

Une décision complexe mais que l’Europe n’a pas prise à la légère : ce n’est qu’après des votes et des consultations avec l’ensemble des secteurs d’emplois touchés que les 28 ont pris cette décision. Un traitement artificiel de l’information européenne a eu pour conséquence en France de donner l’impression que Bruxelles abandonnait l’écologie, alors qu’il s’agit précisément de l’inverse – une décision démocratique et écologique, qui soutien la transition vers les énergies vertes.

A force d’ignorer l’Europe ou de la diaboliser, les Français s’empêchent eux-mêmes de se l’approprier, en la laissant en pâture aux nationalistes populistes de tous bords. Samedi nous avons sauvé les abeilles, mardi le solaire, demain sauvons l’Europe avant qu’il ne soit vraiment trop tard.

 

Schams El Ghoneimi (@SchamsEU)