En ces temps difficiles, quoi de plus important que cette petite histoire que je souhaite vous raconter, une histoire de réfugiés syriens nouvellement arrivés : nous les avons conviés à notre fête cette semaine à Bruxelles. Malgré le niveau 4 d’alerte terroriste, nous étions trente-cinq amis.
Tribune publiée dans La Libre le ici
Basel, qui avait une petite grippe attrapée au camp de réfugiés de Lanaken où il vit actuellement, a chanté toute la nuit avec sa guitare. En dépit du fait qu’il soit distinguable par les qualificatifs de réfugié, de syrien et de musulman – cela en fait beaucoup pour certains -, j’ai découvert que je ne saurai jamais jouer ou chanter Charles Aznavour ou Jacques Brel aussi bien qu’il nous les interpréta. Il y a deux mois, il est arrivé en Europe après avoir quitté la Syrie, la Turquie, la Grèce puis, inarrêtable avec sa guitare qui l’a fait passer pour un touriste aux yeux des autorités, il a parcouru la Macédoine, la Serbie… Pour arriver ici. Professeur de flamenco pendant vingt-deux ans au centre culturel russe de Damas, Basil n’est malheureusement que bilingue arabo-russe : il prend des cours de néerlandais et souhaite apprendre le français, une langue qu’il trouve « belle et profonde » – oui, il nous a chanté « J’ai quitté mon pays » d’Enrico Macias mais il n’a jamais appris le français.
Mais la soirée n’aurait pas été assez folle sans d’autres dangereux réfugiés syriens, musulmans sunnites, alaouites et druzes, je le répète pour ceux qui en auraient peur. La voix d’Angela nous a impressionnés, nos compliments l’ont embarrassée. Journaliste de 27 ans, elle a pris un rafiot avec 150 personnes pendant dix jours l’année dernière, partant des côtes égyptiennes, pour tenter l’Europe au péril de sa vie – faute de visa. Perdus en mer dans des conditions extrêmes, c’est un tanker qui, croisant leur chemin, les a sauvés et amené en Italie. Elle et Najib se sont mariés à Damas en 2011 quand la révolution commença en Syrie, il y tournait des documentaires tandis qu’elle y couvrait la vie culturelle. Mais ils ont tous deux refusé de relayer la propagande du régime. Entre risquer leur vie ou fuir, ils ont préféré vivre.
Pas si facile, la vie de réfugiés. Il y a deux semaines ils m’avaient invité à déjeuner chez eux, à Asse où ils sont logés : excellent gratin de pâtes à la béchamel d’Angela – elle me précisa que d’habitude c’est son mari qui cuisine. Mais pas d’ami, pas d’argent pour sortir, débutants en néerlandais avec des cours chaque matin, Angela et Najib espèrent trouver un travail sur Bruxelles, comme journalistes… Ou autre. La plus grande différence entre eux et leurs voisins dans le village n’est pas la langue mais le fait qu’ils n’aient pas de travail, m’ont-ils dit.
Saddam, 34 ans, est le quatrième réfugié de notre « World Peace House Party » – oui, c’est le titre choisi – timide, il a passé toute la soirée assis sur un canapé à parler avec une charmante amie française, jonglant entre l’anglais et le français. Ingénieur électricien, il prend des cours intenses de français et de néerlandais à Bruxelles depuis qu’il est arrivé en Europe – sur le même rafiot qu’Angela. « Jeune cadre » dans le Golfe au début de la révolution syrienne, il fut expulsé de Dubaï après avoir manifesté contre les massacres d’Assad contre sa population. Pour lui, le plus dur était de se rendre compte en arrivant en Europe qu’il était devenu « un réfugié ». Un immense sentiment de tristesse, d’impuissance le traverse depuis, m’a-t-il confié. Déjà pourvu d’un bon anglais, Saddam sait qu’apprendre les langues du pays l’aidera à trouver un travail. Il est contre la violence, d’où qu’elle vienne, et rêve d’apporter sa pierre à la société qui l’a accepté, en Belgique.
Voilà ce que sont les réfugiés syriens dans leur immense majorité, et voilà la manière la plus appropriée de réagir aux attaques abominables de Paris, ma ville natale : continuons à faire la fête, même avec des réfugiés, surtout avec des réfugiés.
Schams El Ghoneimi