C’était un plaisir de revenir dans l’Aisne pour débattre de la crise migratoire et de l’Union européenne, à l’invitation de LREM qui a organisé l’échange à deux pas de la cathédrale –une merveille, soit dit en passant.
L’Europe, une passoire ?
Les immigrés non-Européens, une menace à l’identité ? Les Français de culture musulmane, plus violents ? Les étrangers, plus délinquants ? La liste des préjugés véhiculés par certains politiciens et certains médias devient bien longue en Europe, et affaiblit durablement la cohésion de nos sociétés, en France comme en Allemagne ou en Italie.
J’ai répondu NON à chacune de ces questions, en utilisant études et rapports, des renseignements généraux allemands aux statistiques du Ministère de l’intérieur. Grâce aux travaux de nos chercheurs, du CNRS à Cambridge en passant par l’université d’Utrecht, nous avons démontré que l’Europe contrôlait plutôt très bien ses frontières, que l’immigration n’était ni massive ni dangereuse, et que beaucoup d’étrangers avaient contribué au rayonnement de nos pays. La France est d’ailleurs loin d’être le seul pays d’immigration et n’a accueilli que très peu de demandeurs d’asile et de réfugiés par rapport à sa population depuis 2015, n’en déplaise à Wauquiez, Le Pen ou Dupont-Aignan.
Cependant « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » (Blaise Pascal) et les plus belles interventions sont venues du cœur et non des chiffres.
Débranchons nos tubes cathodiques, déconstruisons les algorithmes de Youtube ou Facebook qui nous alimentent en fausses nouvelles. Entre la couverture nationale de l’Aisne « terre du FN, du rejet des immigrés et de l’Europe » et la réalité de l’Aisne, mes échanges dans ce département semblent à des années lumières des préjugés qu’on peut entendre à la TV sur les Axonais. Ce sont des personnes chaleureuses et accueillantes, qui ont pris le temps de me montrer, pendant des heures et en se relayant, la riche histoire de Laon.
Impossible de qualifier les Axonais, qui ont voté à 53% pour le FN en 2017, de xénophobes ou d’anti-européens. Simplement le FN occupe un vide politique, car la situation économique de certaines petites villes est réellement problématique. Malgré les millions volés aux contribuables et les diverses fraudes fiscales de Marine, malgré leurs votes en faveur de l’évasion fiscale en Europe, le FN progresse dans les urnes.
Mais est-ce l’étranger qu’il faut accuser, lui qui habite avec nous depuis si longtemps, qui a bercé notre enfance de ses chansons -dont un certain Charles né « Aznavourian » -, est-ce cette équipe de France en majorité de confession musulmane qu’il faut soupçonner, ou est-ce le chômage et la précarité ?
Le programme du FN est en partie appliqué outre-Manche, alors regardons-le de plus près. The Fear Project, le projet de la peur (migratoire) qu’a utilisé l’extrême droite britannique pour gagner le référendum du Brexit pour quitter l’UE en juin 2016, n’a rien apporté de bon. La plupart des étrangers, comme la plupart des Britanniques, étaient parfaitement intégrés. A l’avenir, le manque de travailleurs saisonniers posera d’immenses problèmes. Qui travaillera la terre ? Qui fera le travail en cuisine, lavera les tables et les toilettes des restaurants ? Comment remplacer autant de médecins, d’infirmiers et d’aides-soignants étrangers dans leurs hôpitaux et leurs EHPAD ?
La tentation du repli sur soi, si tentante soit-elle, se retourne déjà contre eux.
Les syndicats appellent à un deuxième référendum, tant ils se sentent floués par ces mensonges.
Les petites gens sont en train de perdre leurs économies à cause de la hausse accélérée des prix, de la chute de la livre sterling, de la hausse des taux d’intérêt et du gel des investissements internationaux. Les agriculteurs écossais et gallois perdront une grande source de revenu (la PAC) qui ne sera que partiellement remplacée par Londres. Pire, ils pourraient accepter de déréguler leur modèle : bienvenue aux OGM américains et au bœuf aux hormones canadien, car il est impossible pour les Britanniques d’avoir autant de poids que lorsqu’ils sont membres de l’Union européenne face aux géants de l’agro-alimentaire.
Les pêcheurs aussi se rendent comptent de la supercherie : ils reprennent l’exclusivité du contrôle de leurs zones économiques exclusives mais devront renégocier l’accès à l’UE, destination de 85% de leur production, avec cette fois des quotas et des taxes. Un désastre pour les produits frais arrêtés en douane, dont les producteurs de langoustines écossaises.
Plus qu’un fiasco, le Brexit remet en question les droits sociaux des travailleurs et de leurs syndicats.
Non loin de Laon, la Cour de Justice de l’UE n’avait-elle pas défendu la CGT contre Castorama sur le travail dominical ? Seuls les avocats se frottent les mains, avec la complicité des traders de salle de marché, bien agacés qu’ils étaient de voir leurs bonus plafonnés par notre Parlement européen.
En confrontant les opinions, chacun(e) a pu entendre l’autre, recadrer le débat et comprendre tout en comprenant mieux le fonctionnement de l’Union européenne.
Les études rassurent : non, il n’y a pas d’immigration massive.
Non, il n’y a pas de lien entre les étrangers et la délinquance en France. Non, les immigrés ne volent pas nos emplois. Non, ils ne sont pas une charge pour nos finances publiques mais bien une chance pour préserver nos services publics, nos retraites, notre modèle social.
Vive Laon la splendide et la France black blanc beure fière de sa diversité. Saviez-vous que la devise de l’Union européenne est d’ailleurs « unie dans la diversité » ?
Les défis socio-économiques sont immenses dans l’Aisne, comme au Nord-Est de l’Angleterre ou au sud de l’Italie. Alors concentrons-nous sur les vrais problèmes et répondons aux mensonges de certains avant qu’ils ne détruisent le cœur de la démocratie européenne le 26 mai prochain, dans les urnes.
Merci aux organisatrices, l’incroyable coordinatrice Europe Nicole La Cognata, la référente de l’Aisne Sawsen Clément Jebbari, les députés de l’Aisne Marc Delatte, Aude Bono et Jacques Krabal. Merci aux autres intervenantes notamment l’avocate Vanessa Collin, Alexandra de Schonen, les spécialistes de la bioéthique ou de l’égalité hommes-femmes comme Jacquie de la Haye. Bravo à tous les jeunes et les moins jeunes, « Axonais d’origine » ou pas, les Augustin, Jérémie, Benjamin, David, Jacques ou les Karim, Abdel, Cheicknah et Radwan.
C’était un échange mémorable pour moi, merci, il faut continuer!