L’accord UE-Canada, le CETA, a été victime d’une intox impressionnante. Ce mercredi, les eurodéputés ont voté l’accord commercial entre l’UE et le Canada, largement critiqué par les écologistes et une partie de la gauche européenne. Schams El-Ghoneimi, conseiller politique au Parlement européen, pense qu’il y a un malentendu. Il s’explique.

Tribune publiée en une de L’Express ici le 17 février 2017.

Fallait-il rejeter le Ceta au Parlement européen le 15 février? Certains critiquent l’Accord Économique et Commercial Global entre l’Union européenne et le Canada (AECG, Ceta en anglais), mais peu se sont penchés sur ce texte. Je travaille au Parlement européen pour des élus, j’ai fait campagne pour une Europe sociale armé de profondes convictions. J’ai discuté avec des ONG du Québec à l’Allemagne, rencontré des agriculteurs et des viticulteurs français, des journalistes wallons et des diplomates canadiens. Pour couronner ces rencontres, la position du Canada, où j’ai vécu, m’est familière. Or, voilà: d’abord sceptique quant aux vertus du traité, je me suis découvert encore plus sceptique sur les arguments des anti-Ceta: il y a malentendu.

Nos discussions ont fait de Ceta un monstre: destruction des services publics, soumission de nos lois à ce traité gravé dans le marbre, tribunaux secrets privés au service des multinationales, invasion des OGM et du boeuf aux hormones, cheval de Troie des multinationales… Il est vrai que nous avons d’abord négocié ce traité avec le gouvernement le plus à droite de l’histoire du Canada. Il est aussi juste que la supervision du Parlement européen est balbutiante, car il n’a que récemment reçu le pouvoir de contrôler les accords commerciaux de l’UE.

Cependant, j’ai également exploré des sources en faveur de Ceta: le Canada, le gouvernement français et nos 27 partenaires européens, la Commission européenne et les représentants de l’industrie. Cette fois-ci, on nous vend le paradis des échanges commerciaux avec « 20 à 25% de commerce en plus entre le Canada et l’Europe », formidable mais difficile à prouver.

Les garanties sont solides

C’est donc avec bien peu d’intérêt pour le texte que la plupart de nos élus européens ont voté [avec 408 voix en faveur sur 695 votants]. Or en se retroussant les manches, on trouve un accord qui n’a certes rien de fantastique, mais rien de diabolique non plus. Les garanties importantes obtenues en octobre par la Wallonie sont écrites noir sur blanc dans un instrument juridiquement contraignant.

En effet, la copie a été revue et il n’y a plus de tribunal privé. Le Canada et nos gouvernements ont mis en place un tribunal public doté d’une cour d’appel et de 15 juges nommés non pas par les entreprises, mais par les pouvoirs publics. Recrutés sur des critères semblables à ceux de la Cour européenne des droits de l’Homme, ils siégeront en public, travailleront à temps plein et devront respecter un code de déontologie strict. Ils statueront uniquement sur Ceta: les garanties de protection des services publics, du principe de précaution ou des normes environnementales sont solides, les 28 l’ont réaffirmé.

Et le poulet au chlore? Il est interdit en Europe et le restera, car les Canadiens devront respecter les régulations phytosanitaires européennes -idem pour les OGM ou le boeuf aux hormones. Quant au gaz de schiste et aux sables bitumineux -qui, soit dit en passant, ne plaisent pas non plus à Justin Trudeau qui souhaite les supprimer- encore une fois, ils ne seront pas légalisés en Europe, sauf si nos propres parlements le décident. Si nous voulons re-nationaliser des services publics privatisés, nos élus pourront le faire sans d’autres entraves que leurs propres lois.

La très grande majorité des taxes disparaîtront

Mais alors, que changera vraiment l’accord? Les taxes douanières sur 98% des biens disparaîtront. Beaucoup de barrières non-tarifaires vont progressivement disparaître. Par exemple, il sera permis aux Européens de construire des écoles au Canada. Ceta est une ouverture réciproque et partielle de deux marchés de niveau social comparable: le Canada a un indice de développement humain supérieur à la France, respectivement au 9e et 22e rang mondial. Certains de leurs services publics sont moins protégés qu’en France, mais leur éducation nationale est plus égalitaire que la nôtre.

Tout n’est pas rose cependant. Par exemple, les produits laitiers européens bénéficieront grandement de l’accord, mais leurs homologues canadiens pourraient perdre des emplois. C’est l’inverse pour la viande de porc ou de boeuf. De nombreuses questions subsistent: nos vins et spiritueux ne seront plus arbitrairement taxés, mais ces profits se retrouveront ils dans les salaires des employés? Une chose, cependant, est certaine: les PME y verront plus clair, mais les multinationales continueront à maîtriser l’optimisation fiscale. Ainsi l’économiste Thomas Piketty voudrait un Ceta harmonisant l’impôt sur les sociétés: oui, sauf que le gouvernement français n’a pas encore eu le courage de soutenir ne serait-ce qu’un impôt direct européen.

Schams El-Ghoneimi est conseiller politique au Parlement européen.