Intervenir sur l’Europe à Boulogne-sur-Mer, c’est rendre une visite spirituelle à mon grand-père boulonnais, Jean Hippolyte Quillet. Papi est né en 1915 et, même s’il n’est plus de ce monde, sa vie m’a beaucoup marqué.
Papi Jean symbolise pour moi le vingtième siècle. Pupille de la Nation après la Grande Guerre, il servit toute sa jeunesse dans l’armée française à l’approche de la Seconde. Lui qui avait servi en Syrie travailla ensuite dans les usines navales à Marseille, puis intégra le réseau Libération-Nord de la résistance. Son frère, cependant, sortait souvent avec les « boches » à Boulogne et mourut d’une balle perdue quelques temps après avoir rejoint… la résistance. La ville même fut pratiquement rasée, notamment par 300 bombardiers de la Royal Air Force en juin 1944, qui rasèrent les quartiers populaires adjacents au port.
A 30 ans en 1945, mon grand-père avait connu les deux conflits les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité. Il nous disait n’avoir rien contre les Allemands, mais interdisait à sa femme, ma grand-mère Alsacienne, de parler allemand ou alsacien devant lui. Communiste comme ses camarades de chantiers, Jean ne voulait pas croire à la « propagande » anti-soviétique.
L’Europe a certes apporté la paix aux Boulonnais, mais ce n’est pas tout. Les Européens ont mis la main à la poche pour aider cette ville en difficulté, qui a perdu 36% de sa population pendant la guerre. L’UE a financé la moitié du musée de la mer de Nausicaa, une merveille scientifique qui attire chaque jour 60% des touristes et représente une fierté régionale – c’est le plus grand aquarium d’Europe. Les fonds européens financent la modernisation du port, des trains et la dépollution de la mer, la promotion de la biodiversité marine et la pêche durable.
Au-delà des financements, nos États ont délégué à l’UE la gestion de leurs ressources halieutiques (= de la Mer) pour sauver notre biodiversité marine. Sans les lois européennes, les chalutiers espagnols ou hollandais auraient depuis longtemps épuisé les stocks. La pêche est régulée non pas par des fonctionnaires à Bruxelles mais par nos gouvernements élus (« les 28 ») et le Parlement européen – les députés européens membres de la Commission Pêche se réunissent ce lundi 24 septembre pour voter l’interdiction des plastiques dans le secteur et débattrons ensuite d’un projet de loi pour sauver l’espadon, en voie de disparition en Méditerranée.
L’Europe est en fait proche de nous – mais nos politiques, nos médias et nos manuels d’éducation civique préfèrent parler des élections internes aux Etats Unis. Cette année les petits pêcheurs boulonnais, alliés à leurs homologues de toute la Mer du Nord mais aussi à la communauté scientifique, ont manifesté pour interdire la pêche électrique qui décimait les fonds marins – les pêcheurs des Hauts-de-France avaient perdu 50% de leurs captures de soles entre 2014 et 2018, à titre d’exemple. Les lobbys représentant les grands chalutiers adeptes de cette pratique ont perdu, grâce à la mobilisation du Parlement européen qui, après des négociations avec nos États, a interdit cette pratique dans les eaux de l’UE.
L’effondrement des stocks de pêche est loin d’être le seul défi de Boulogne. La fin des lignes de transport maritime, suite au tunnel sous la Manche et à la performance du port de Calais, est dramatique. La fermeture catastrophique des hauts-fournaux en 2003, dont dépendait l’employeur de mon grand-père, manifeste la force sans précédent de la concurrence asiatique.
Mais il faut toujours regarder vers l’avenir, comme ma mère rêvait de devenir prof d’anglais en voyant les côtes anglaises de sa maison à Wimereux, sur la côte d’Opale.
Merci au Ministère des affaires étrangères et européennes de m’avoir invité pour cet échange avec d’autres experts comme Olya Ranguelova (experte de la régulation financière européenne), ainsi que le député du Pas de Calais Jean-Pierre Pont (LREM) et Gilles Pargneaux (PS).
Si la communication sur l’Europe a suscité beaucoup de questions, j’espère revenir pour expliquer les conséquences concrètes du Brexit, cœur de mon travail depuis le référendum de 2016. Boulogne fut le premier port français à établir une liaison commerciale régulière avec l’Angleterre au XIIIème siècle – j’écris sous le contrôle de Quentin, étudiant en histoire qui a participé à nos discussions. Aujourd’hui, les pêcheurs britanniques qui ont voté pour quitter l’UE se rendent compte des mensonges de l’extrême droite. Les pêcheurs écossais que j’ai rencontrés dépendent de l’export vers l’UE pour 85% de leur production. Les langoustines écossaises, surtout exportées, ne survivront pas aux contrôles douaniers. Boulogne, leader européen de l’industrie des fruits de mer, souffrirait directement d’un Frexit auxquels ne s’opposeraient pas 50% des Français.
Vive le débat, vive le développement de l’information sur l’Europe, et vive Boulogne-sur-Mer, cette ville profondément européenne -la première à accueillir le congrès européen pour l’esperanto en 1905, d’ailleurs!