Tribune publiée dans La Libre le 4 octobre 2016 ici.
Marre de manifester pour la Syrie. Qu’ils meurent sous les bombes, on ne peut rien faire. Leurs vidéos ne sont-elles pas répétitives, à force de nous montrer des secouristes sauver des enfants ou des vieux sous les décombres entre deux frappes russes ? Avant c’étaient les bombes barils larguées sur des marchés, des bombes à incandescence ou, comme en 2012, des dizaines de missiles balistiques pour raser des quartiers entiers. C’était plus diversifié que les bombardements quotidiens actuels. Assez. On ne veut plus être dérangés. Merci.
Une énième manifestation Place Schuman à Bruxelles, devant les institutions européennes, se tient aujourd’hui. Deux-mille-trente jours après le début des manifestations populaires en Syrie, un 15 mars 2011. Quatre-cent-cinquante-mille morts plus tard, nous comptons toujours: les bombardements russes et syriens contre les civils d’Alep-Est ont tué au moins 400 civils la semaine dernière – et 8 combattants. Trop de chiffres, ce pourquoi je tente les lettres. Mais que déchiffrer des déclarations de nos gouvernements après cinq ans de protestations déclaratives? Ce sont d’ailleurs les Arabes qui nous ont apporté le mot « chiffre », de « sifr » qui veut dire zéro… Mais peu importe.
Peu importe qu’Alep et quarante autres villes en Syrie -selon l’ONG PAX- soient assiégées par le régime syrien, avec le soutien direct de l’Iran et de la Russie. Qu’importe que l’on utilise régulièrement des armes chimiques contre femmes et enfants –la « ligne rouge » a été dépassée il y a trois ans, mais nous sommes aveugles ou, pire, daltoniens. Qu’importe que la plus grande crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale soit à quatre heure –non, quatre heure trente c’est vrai- de Bruxelles en avion? Qu’importe. Assumons?
Je vais pourtant manifester ce mardi. Parce que nous sommes en droit d’attendre des actions plus concrètes pour arrêter des crimes contre l’humanité à nos portes. Parce que les 300 000 âmes qui survivent tant bien que mal sous les bombes d’Assad et de Poutine à Alep-Est, elles existent. Parce que tout ce qui nous permet d’être plus solidaires, ne serait-ce que dans notre minute de silence, en leur envoyant quelques photos en retour, comptera pour l’Histoire ou, au moins, pour une histoire avec un petit « h ». Comme dans « humanité ».
J’ai rencontré des centaines de réfugiés syriens, de l’Égypte à la Belgique ils fuient le régime syrien d’abord, qui tue bien plus que Daech. Deux régimes totalitaires combattus inlassablement par l’opposition syrienne, depuis la première heure, mais nos gouvernements, paralysés par leurs propres crises politiques, les ont délaissés. La Syrie est compliquée? C’est vrai. Je travaille sur ce conflit depuis cinq ans, je n’en vois toujours pas la fin. Une intervention aérienne ciblée arrêterait les bombardements des civils -et des humanitaires, qui ont été délibérément bombardés par l’aviation russe tout récemment. Mais bien plus encore est nécessaire : un effort d’aide aux réfugiés de Bruxelles à Beyrouth. Une pression politique constante pour rapprocher des parties irréconciliables -l’échec du référendum en Colombie nous rappelle que cela prend du temps. Jeter l’éponge ne sert à rien. Manifester, c’est se donner une chance.
De Schams El-Ghoneimi, conseiller Moyen-Orient au Parlement européen.